Orée contestellaire – hón

Je t’invite à faire une expérience en deux temps. Quelque chose que tu sais déjà faire écouter puis lire un texte à voix haute. Une fois que tu es rejoint·es ou que tu as invité quelqu’un·e à te rejoindre, l’un·e d’entre vous pourras lancer l’enregistrement audio sur l’appareil au centre de la vague et s’installer.

Tu peux observer le mouvement de la vague, t’éventer, te couvrir ou bien simplement fermer les yeux. Pendant l’écoute, je t’invite à te laisser accompagner par les mots et les sons que tu entendras. Ne te sens pas gêné·e si tu as besoin de bouger, n’hésite pas. Si des personnes arrivent pendant l’écoute, je t’invite à leur expliquer ce qu’il se passe.

Une fois l’écoute finie, je t’invite à lire le texte qui se trouve dans le livret que tu tiens. Pour cette lecture je vous propose de lire à voix haute. Tu peux choisir d’attendre ou ne pas attendre qu’un·e personne commence la lecture. D’accepter de t’arrêter quand un·e autre lit, ou d’accepter de l’accompagner. De briser ou non un silence entre deux prises de lecture. De répéter une phrase ou de continuer. De prendre la parole ou bien d’écouter, t’arrêter et reprendre quand tu le souhaite.

Bienvenue dans l’Orée contestellaire. L’écoute dure 15mn, je vous invite à lire à la suite quand le son baisse et s’arrête.

texte en écoute

Il y a quatre heures-lumière jusqu’aux confins du système solaire; jusqu’à l’étoile la plus proche, quatre années-lumières. Un océan de vide disproportionné. Mais sommes-nous vraiment sûrs qu’il n’y a que du vide ? Nous savons seulement qu’aucune étoile ne brille dans cet espace. Si elles existaient, seraient-elles visibles ? Et s’il existait des corps qui ne soient ni lumineux ni obscurs ? Ne se pourrait-il pas que sur les cartes célestes, comme sur celles de la Terre, les villes-étoiles soient indiquées et que les villages-étoiles soient omis ?

Le feu est l’état permanent de notre intérieur, sa promesse renouvelée, de demeurer sur le seuil de son basculement, de risquer l’incendie en le dominant. Le ciel est parsemé de ce basculement, dans la froideur de son étendue, nous ne sommes pas éteintes. Mais ce feu, pour composer nos constellations, doit traverser la matière sans la brûler. C’est une intime lueur, une finesse scintillante qui parvient à rebours. Le feu lorsqu’il est bien trop prêt nous rappelle la condition de nos corps. Inondées de sa clarté, le soleil, nous empêche de nous voir.

[Bien trop prêt, bien trop blanc. Il nous aveugle.]

Nous ne pouvons nous comprendre dans notre noirceur sous sa lumière.

Dans les profondeurs du ciel, océan de noirceur,

nous pouvons consteller à travers la matière noire.

L’océan accueille notre potentielle lueur. Son bord est dans un répétitive rencontre.

Qu’en est-il de son centre ? Que se niche dans les profondeurs ? là où le sonar s’essouffle, où l’infini nous semble proche encore, où la profondeur demeure loin de l’instabilité d’un océan déchaîné en lutte contre l’atmosphère et de sa claque contre la terre.

Nos corps flottent dans sa profondeur, dans cette autre surface les vagues avalent la lumière et nous dirigent.

Nous fondons.

La lumière diffractée éclaire nos restes dans le fluide astrale.

Nous touchons tout.

Les hón sont les âmes des vietnamiens. Ils sont liés au souffle céleste

La composition de l’air que nous respirons dépend des vivants, l’air n’est plus l’environnement dans lequel nous nous situons et où nous évoluons, mais, en partie, le résultat de nos actions. Il n’y a pas d’un côté des organismes et de l’autre un environnement, la terre, le ciel, mais une superposition d’agencements mutuels. L’action est redistribuée.

Être un·e artiste c’est échouer comme aucune autre n’ose le faire.

Avec affection pour la terre, l’océan est en constante chute, il s’humilie dans leur relation à la terre, contre le humus.

La terre n’est pas que son sol et ce qui s’enracine, elle est aussi ce qui s’y mu, chaque organismes vivants. Elle est traversé par des tas d’êtres hors sol. Des êtres qui ont quitté depuis longtemps les systèmes racinaires. Des êtres qui évoluent dans l’air, il faut croire de manière autonome. Pourtant ces êtres sont faits de trous, de trous par lesquels leurs mouvements absorbent les organismes racinaires et les transforment pour les rendre à nouveau à la terre. Il les transforment en déchet qui indirectement nourrirons d’autres êtres racinaires qui nourriront d’autres êtres entourés d’air. Entourées d’air évoluant dans l’atmosphère mais aussi accueillant l’atmosphère par leurs trous.

La terre elle comprend aussi un atmosphère. Elle n’est pas que cette amas de gravité minérale et liquide elle est aussi gazeuse.

Ce gaz est traversé par les vivants qui l’absorbe et le transforme comme par les restes de météores de quoi iels sont fait·es. La terre est un morceau de ciel. Hón une matière qui la traverse.

Les corps sont aussi gazeux, un mouvement constant de particules traversées par hón, corps humains, non-humains, astraux, incandescente friction. Nous touchons tout, nous nous touchons.

Il ne sert à rien d’allumer une chandelle sous le soleil,

la mélancolie nous est utile dans nos ardentes camaraderies.

L’océan comme nos corps tente de se mélanger indéfiniment au ciel, nous nous évaporons avec lui.

La goutte transfuge en de multiples états, elle est partout chez elle et toujours en contact avec son milieu et pourtant toujours étrangère à elle même. Concentrée dans le milieu océanique elle se multiplie dans la couche du ciel, pour alimenter nos corps de poussières. L’évaporation nous traverse, liquide, aérienne, solide, liquide à nouveau.

La constellation s’accomplit par la rencontre de nos lueurs. Non pas dans la flamboyance, mais dans une incandescente transmutation.

Je n’avais pas remarqué comme le mot constellation résonne comme contestation.

Le feu encercle les trous noirs, un disque d’accrétion l’alimente. Est-ce que nous vivons dans un trou noir ? Descendons-nous de la singularité ?

Et si à travers nos corps se vit hón que nous partageons. Cellui dont je parle s’appelle orée contestellaire. Iel est l’artiste qui s’exprime avec nous. Nous ne sommes pas des êtres qui portent leur histoire et leur identité au monde, les exprime et les donne à voir. Nous sommes toustes habité·es par hón. Hón est une matière qui occupe l’espace, il est noirceur.  Matière spectrale dont nous sommes fait·es. Ce que nous voyons le plus, le discours, l’horizon des évènements qui pare nos histoires, nous empêche de le voir.

Hón porte nos lueurs. Iel transmute secrètement notre incandescence. Hón est en dehors du temps, iel est une diffusion qui échappe à notre condition.

Les étoiles sont loins de nous, elles sont toutes petites mais elles diffusent leur propre lumière. Dans une constellation, chaque étoile est interdépendante et indépendante. De leur place, les étoiles peuvent s’assembler, chaque lueur est un point de contact. Du lointain crépuscule, elles se diffusent, leur force vient du feu.

Le souffle pourrait éteindre le feu, mais hón est un courant qui alimente nos lueurs.

Nous fondons.

Nos corps sont des planètes. (Lien brother to brother)

Nous touchons tout.

Nous nous touchons.

Le temps est ce qui empêche la lumière de nous atteindre.

À l’orée, dans l’atmosphère, dans la rencontre des corps prennent feu. Entre-deux lieux, entre l’air supportable que nous partageons sur terre et sous les mers et l’au-delà de cet air là où les étoiles vivent. Les corps à la rencontre de notre environnement, brûlent. C’est de ce feu que hón vous invite à faire nos souhaits.

C’est bien aussi de la gravité que l’attraction d’un désir brulant d’avenir nous anime.

Ainsi nous nous tournons vers les étoiles, celles du ciel mais aussi qui composent hón / la terre

Le ciel est un filtre

Ce texte est écrit avec:

Roberto Bolaño, Louisa Yousfi, Samuel Beckett, Romain Noël, Bruno Latour, Virginia Woolf, Derek Jarman